NAZON MIEUX QUE SANON ET TOUS LES AUTRES
Duckens Nazon, outrageusement critiqué depuis quelque temps, a répondu, ce mardi 9 septembre, par un somptueux triplé contre le Costa-Rica, 3-3, match de qualification pour la Coupe du Monde de football 2026, pourtant mal embarqué, 2-0 contre nous à la mi-temps. L'exploit est peu courant dans l'histoire du football haïtien, particulièrement au niveau de la Sélection Nationale et d'adversaires aussi prestigieux que le Costa-Rica, quart-finaliste de la CM 2014 au Brésil et éliminé que sur tirs au but par les Pays-Bas. Qu'on se souvienne aussi que ce football a été 13e mondial en 2015 et qu'il est souvent invité à la Copa America où il a déjà atteint, là encore, le stade des quarts de finale. Ce n'est pas banal. Tout cela n'eût pas été, l'on reconnaîtrait quand même que le fait sportif, plus que dans les autres aspects de la vie sociale, est très relatif. Pour le peser, l'apprécier et le classer, il faut le contextualiser, le comparer, le mettre en perspective. Ainsi, tous les triplés ou quadruplés ne se valent pas. Alors, celui de la nuit du 9 septembre de San José, Costa-Rica estampillé Duckens Nazon, est-il le plus significatif de toute l'histoire du football haïtien? Nazon a-t-il fait mieux que tous les "tripleurs" internationaux du football haïtien, d'Alix "Sonson Pasquet" en 1938 contre la Jamaïque en passant par Antoine "Zoupenm" Tassy en 1949 contre Trinidad, jusqu'à Golman Pierre, deux triplés contre la Dominique en l'an 2000 et un quadruplé contre Saint Kitts et Nevis en 2001, ou Jean Philippe Péguéro contre l'Île française de Saint Martin en 2012?
Beaucoup de "tripleurs" mais Fénol et Manno pour la comparaison
À tout seigneur tout honneur! Ici, on ne parle pas de buteur sans se référer à Emmanuel Sanon. Le bourreau de Keylor Navas a-t-il fait mieux que le tombeur de Dino Zoff dans ce domaine précis de marquer plus que deux buts dans un seul match en Sélection Nationale? Et Fénol Charles, meilleur buteur de la Caraïbe et de l'Amérique Centrale en 1957, compétition qu'il a éclaboussée de ses huit buts, dont trois contre Cuba que nous avions battu 6-1. Il serait intéressant que la mise en perspective des trois buts de Nazon embrasse tous les triplés réalisés en Sélection. Mais le texte en sortirait alourdi. Ce n'est pas un livre. Voyez la liste non exhaustive sur cette même page Facebook prochainement. Pour les présentes minutes, revisitons donc Manno Sanon et Fénol Charles en comparaison, pour rappel, avec le coup du chapeau de Duckens Nazon. Ayons à l'esprit, question de méthode, que toute performance en Sélection Nationale est hiérarchisée selon qu'il s'agit de match amical ou de compétition, de préliminaires ou de phase finale de Gold Cup, de match de qualification en Coupe du monde contre Costa-Rica, par exemple, ou la victoire 2-0 contre Équateur en Gold Cup 2002. Et puis, un but contre Îles Vierges ne pèse pas aussi lourd qu'un autre contre le Canada de 2025. Une dernière illustration: tout sublime que fut le but de Descollines contre Cuba en 1999, à Los Angeles, en barrage de Gold Cup, il ne peut égaler l'ogive en demi-volée de Monès Chéry sous la transversale des États-Unis, Gold Cup 2009. Tous ces exemples répondent à deux critères prépondérants: le niveau de la compétition et le prestige de l'adversaire.
Sanon pour l'ensemble de son œuvre, Fénol révélation internationale et coup de cœur
Dans ce domaine des triplés ou plus, nous privilégions Manno Sanon pour ce qu'il est: le meilleur buteur de tous les temps du football haïtien, pour ses buts très importants en Sélection Nationale et aussi parce que dépasser Sanon semble obséder Nazon. En cette occurrence, obsession est synonyme d'émulation. Ambition légitime qu'il faut encourager. Nazon s'est attaqué à une montagne. Sanon a marqué 13 doublés en Sélection, un quadruplé contre la Guadeloupe, 4-4, le 13 février 1972, un triplé en amical contre le Canada, 5-0, le 10 novembre 1973. Claude Barthélemy avait marqué les deux autres buts. Son total est de 53 buts. Et il a joué des matchs en Sélection à l'étranger sur lesquels les archives sont muettes. Sanon, c'est ce 9 d'un football qui n'avait pas plus de 1000 pratiquants officiels, dont les scolaires, et qui a scoré en Coupe du monde contre deux superpuissances du football mondial, l'Italie double championne du monde avec une génération championne d'Europe en 1968 et finaliste malheureux à Mexico 1970, et l'Argentine multiple championne d'Amsud, pourvoyeuse traditionnelle de footballeurs de classe mondiale et dont trois joueurs, Fillol, Houseman et Kempès allaient être champions du monde quatre ans après. À la lumière des critères ci-dessus mentionnés, et malgré le pedigree de Sanon, l'on voit bien que même additionnés, son quadruplé et son triplé en matchs amicaux contre deux équipes de bas de classement sont bien légers au regard du triplé de la nuit sacrée de San José.
Et Fénol Charles?
Lui, et ses deux triplés, le 14 novembre 1953, face à la Jamaïque dans un match amical que nous gagnons 4-1; le quatrième but étant l'œuvre d'Antoine Tassy, et, surtout, son triplé lors de la défaite 6-1 que nous avons infligée à Cuba, le 23 août 1957 dans le cadre du 8e championnat de la Caraïbe et de l'Amérique Centrale à Willemstad, Curaçao. Antoine Tassy, Bovil II et Gérard Delpêche furent les auteurs des trois autres buts. Fénol Charles, c'est aussi un coup de cœur puisqu'il était l'un des entraîneurs suppléants de Roland Lacossade aux entraînements des équipes du Petit Séminaire Collège Saint Martial où j'ai passé trois ans. Comment oublier ses leçons pratiques de frappe du coup du pied, en 1972-1973, alors qu'il était chaussé d'un soulier de ville dont il avait entaillé l'extrémité afin de se soulager d'un cor à côté du petit orteil droit!? À ses frappes de quadragénaire avancé, chaussé de ce simple appareil déjà usé par mille travaux, le ballon fusait au coin qu'il choisissait. Et puis, il est mort dans la gêne sans jamais avoir pensé qu'il avait le droit de se raconter. C'est aussi un hommage, pourvu qu'un seul fan de l'Aigle Noir, un parent, un vrai amoureux du football haïtien lise ces lignes.
N'empêche, restons objectif. Au regard de son œuvre, Fénol est sous-coté. Ses deux triplés en Sélection ne disent pas assez le grand attaquant qu'il fut. Indiscutable en numéro 9 quand sa génération comptait des joueurs du calibre de Joe Gaetjens, André "Dadadou" Vieux, Marc Antoine dit Marc Élie, Gérald Haig, Antoine Tassy... ll était le Monsieur but de la grande équipe de l'Aigle-Noir 51-57, issue du Bacardi. Mais c'est à Willestad qu'il se révéla au petit monde centre-américain et caribéen à l'occasion du 8e championnat de la zone. Comme Jairzinho le fera treize après lui à la CM de 70, il scora contre tous les adversaires d'Haïti: deux contre Curaçao et victoire des nôtres 3-1, un contre Honduras pour une deuxième victoire haïtienne, 2-1 cette fois-ci; deux contre le Panama qui s'incline 3-1; enfin des six buts que l'équipe haïtienne réalise contre Cuba, trois portent la marque Fénol Charles. Au total, il engrange huit buts en quatre matchs.
Tous les buts ne se valent pas
La question: les trois buts de Fénol contre Cuba en 1957, valent-ils ceux de Nazon contre Costa-Rica en 2025? Nazon l'emporte parce que l'enjeu de 2025 est une qualification en Coupe du Monde alors que le 8e championnat de la Caraïbe et de l'Amérique Centrale s'arrêtait là, pas d'ouverture sur le monde. Nazon l'emporte encore vu que Costa-Rica est une puissance indiscutable de la Concacaf avec des clubs puissants tels Alajuelense et Saprissa. Le gardien Keylor Navas de classe mondiale, la victime de Nazon, enfle la performance du 9 septembre 2025, comme cela a été, est encore pour le but de Sanon contre Zoff en 1974. Cette dernière considération nous amène à un autre critère de soutien de la comparaison: la qualité des buts. Nous ne disposons pas d'image des buts de Fénol. La comparaison biaise donc forcément. Mais lisons ce que Docteur Yves Jean-Bart écrit dans son ouvrage Haïti dans la Merveilleuse Histoire de la Coupe du Monde du premier des trois buts de Fénol marqué sur le coup d'envoi après dix secondes: "Fénol engagea le jeu en passant à Tassy qui prolongeait en retrait pour Legros qui, d'une longue passe, alerta Fénol, qui était parti rapidement comme une flèche en pointe; précis dans son interception, l'avant-centre de l'équipe nationale n'eut qu'à s'avancer pour battre le portier cubain". But spectaculaire à haute valeur stratégique et technique. Cependant, nonobstant le premier but de Nazon survenu à la suite de son propre penalty raté contre Costa-Rica, le bonhomme et ses camarades ont conçu et réalisé deux authentiques œuvres d'art dignes d'être conservés au musée des plus beaux buts de l'histoire du football.
Les chef-d'œuvre de Nazon
Oyez, amateurs du beau jeu! Oyez! Corner pour Haïti. Providence pellète remarquablement le ballon qui survole la surface de but jusqu'au delà du deuxième poteau d'où Matusala le ramène de la tête vers l'autre poteau; au tour de Danley Jean-Jacques, de la tête lui aussi, de guider le ballon vers l'axe du but vers Nazon qui n'a jamais des yeux perdu le ballon déjà jugé trop en arrière pour tenter un troisième coup de tête, mais vers le but celui-ci serait. Alors malgré Pierrot son coéquipier, Carlos Mora et Julio Cascante, ses adversaires, qui le gênent, intrépide, il sauta sans retenue aucune, exécuta un retourné acrobatique, un ciseau, une bicyclette, un 2 pye kole, un retourné-couché - vous avez le choix - trop puissant pour Navas: 2-2
Deedson Louicius récupère le ballon des pieds d'Orlando Galo dans la partie haïtienne du rond central, a accéléré, a trouvé Duke Lacroix sur sa droite; celui-ci bifurque dans l'axe par où est passé Louicius jusqu'à la surface de réparation pour à la fois créer de l'espace en faveur de Lacroix et lui offrir une possibilité de passe. Lacroix prit cette option en filant le ballon vers Louicius nécessairement face à ligne de touche, donc donne dos au jeu mais sent, avait déjà vu, ou entend Nazon dans son dos, face au but, vers lequel il dévie le ballon par un intérieur du pied gauche qu'il passe derrière le pied d'appui (la translation). Et l'attaquant marque cliniquement d'une frappe vrillée rendant chimérique la détente de Navas. Tout commentaire est inutile.
Voilà! Ce match et cette performance de Nazon marquent une période. Golman Pierre, Maxime Auguste, Jean Philippe Péguéro, Antoine Tassy et tous les autres n'ont pas claqué un triplé aussi spectaculaire et utile. Malgré le nul final 3-3, malgré le silence imposé par la terreur des gangs, malgré l'absence du grand public au stade national de San José, ils pourraient être plus forts dans notre conscience de peuple de football que, par exemple, la victoire 3-2 aux dépens du Canada du 29 juin 2019, buts de Nazon (déjà), Bazile et Donald Guerrier. Fénol Charles est oublié. Maintenant, la technologie est là pour immortaliser les vilénies et les grandeurs. Même des fans authentiques de 60-70 ans ne connaissent plus les frères Jean et Yves Verna et leur cousin Fritz "Gogo" Verna. Nazon est du temps de l'Intelligence Artificielle. Il s'inscrit dans les grandeurs. Qu'il dépasse Manno Sanon
qui avait marqué pour nous 4 buts contre Porto-Rico, aller-retour et 5 buts au prémondial de Port-au-Prince qui nous avaient donc conduit à Munich. Il faut gagner les prochains matchs. Au Canada, Mexique ou États-Unis, que Nazon (ou Pierrot) se paient leur Dino Zoff et leur Daniel Carnevalli! Et plus encore. Pourquoi pas!?
NB- Sources: Journal le Nouvelliste, Notes personnelles, RSSSF.org
Port-au-Prince
17 septembre 2025
Crédit texte et Courtoisie de: Patrice Dumont
NB: Suivez ma page YT qui sera bientôt active 👉🏾 https://youtube.com/@patriceppdumont?si=cf1jwmM-6cX7YyT8
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire