Haïti pleure et part en lambeaux. Sa capitale, coupée du reste du territoire national, devient de plus en plus une ville ouverte occupée par la coalition Viv ansanm, laquelle étend progressivement son emprise sur d’autres régions du pays. Aucune force ne semble pouvoir la contenir, encore moins la démanteler. La Présidence à neuf têtes n’a que l’apparence du pouvoir et ses chefs n’ont ni l’étoffe ni le charisme nécessaires pour soulever un élan d’espoir. Si le CPT n’est pas encore enterré, c’est pour donner à croire qu’il est encore en vie. Mais ses parrains peuvent-ils encore ranimer un cadavre? Cette question est dans tous les esprits depuis la déclaration de la Caricom du 12 avril 2025, appuyée par Washington et depuis peu par Paris, dans laquelle elle dénonce un éventuel coup d’État que mijoteraient les gangs armés pour déstabiliser l’exécutif mis en place par l’accord du 3 avril 2024.
Si les observateurs accueillent favorablement la mise en garde contre les menées des bandits qui ambitionnent de conquérir le pouvoir, ils déplorent le fait que le texte n’ait pas fait allusion à l’apathie du Conseil présidentiel de transition. Ils y trouvent même un soutien inconditionnel au CPT tant décrié. Mais est-il pour autant un blanc-seing donné à ce dernier? Que la communauté internationale s’oppose à un coup de force de Viv ansanm contre le double exécutif est dans la logique historique des 110 dernières années. Depuis 1915, il y eut une succession de gouvernements. Aucun d’eux n’a été renversé par une insurrection armée, comme c’était la norme au 19e siècle et au début du 20e. Même l’équipée de Guy Philippe en 2004 était plus un épouvantail qu’un coup de main décisif contre le pouvoir d’alors, lequel était déjà largement débordé par la rue. Par contre, à lire attentivement la mise en garde de la Caricom, plus encore qu’un ferme avertissement aux gangs, c’est l’accent qui y est mis sur la tenue d’élections pour “ramener Haïti à l’autorité constitutionnelle” qui doit retenir l’attention. Est-ce un vœu pieux? La Communauté caraïbéenne, à moins d’être disposée à accepter un simulacre électoral, ne peut méconnaître le fait que, dans le délai qui reste au CPT pour exercer son autorité et dans l’état d’insécurité où sont plongés les départements de l’Ouest, de l’Artibonite et du Plateau central, les possibilités d’organiser des élections nationales crédibles, selon le calendrier établi, soient nulles. Elle ne peut non plus cautionner sans discréditer l’aboulie des dirigeants et leur incapacité à forger un consensus populaire. Bien au contraire, leur indolence et leur manque d’empathie sont la cause première de la radicalisation croissante d’une population aux abois qui, après deux coups de semonce, finira, si le calvaire perdure, par fournir du personnel d’émeutes.
D’aucuns objectent que changer de gouvernance aujourd’hui ne changerait rien à la situation. Peut-être. Mais ne peut-on admettre comme une incontestable évidence qu’une Présidence monocéphale issue de la Cour de cassation au minimum nous coûterait moins cher? Mettre fin à la mainmise sans frein ni contrepoids des partis, dont nombre d’entre eux sont des groupuscules, sur les leviers de commande ne permettrait-il pas d’assurer un jour des élections à égalité de chances, par conséquent démocratiques? Enfin, et c’est l’aspect déterminant, la possibilité de former un gouvernement de combat, composé, entre autres, d’un noyau d’experts en matière de sécurité et, qui serait à même d’imprimer les pulsions essentielles pour sortir le pays du chaos n’est-elle pas souhaitable?
Quelles sont ces pulsions? La première tâche, d’ordre psychologique, serait de renverser la vapeur et de susciter, du coup, une nouvelle foi dans l’avenir afin de contenir l’immense vague d’angoisse qui submerge les esprits et met à mal les cœurs. En deuxième lieu, les nouveaux dirigeants devraient se mettre rapidement à l’œuvre pour galvaniser policiers et soldats afin qu’ils comprennent la nature historique de leur mission qui est, avec la population comme force d’appoint, non seulement de tenir en échec les raids meurtriers des gangs dans la capitale et ailleurs, mais aussi et surtout d’inverser rapidement la donne sur le terrain et de mettre le nouveau pouvoir civil en position de force pour négocier avec tous les acteurs. Le but peut être atteint si l’indécision cesse de régner au sommet et si du dynamisme est insufflé aux forces de sécurité dont le problème n’est pas leurs effectifs mais l’absence de leadership et le manque d’armement approprié. L’ancienne armée d’Haïti n’avait que 7,000 recrues et un contingent de chefs de section rurale et leurs adjoints. Pourtant, elle a tenu le pays sous sa coupe, même dans les temps de remous politiques et d’effervescence populaire. Fermeté, audace, motivation et un véritable budget de guerre peuvent largement compenser les défaillances passées et présentes. Le moment n’est-il pas enfin venu de changer de pied et de faire un pas en avant dans la longue marche pour reconquérir, non seulement les territoires perdus, mais le pays lui-même menacé d’anéantissement?
Crédit: Robert Malval
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