Radio Internationale d'Haïti EN DIRECT!

lundi 3 mars 2025

Les trois (3) indépendances de la République dominicaine

 

La nation voisine, qui célèbre sa fête nationale le 27 février, est un cas unique en Amérique latine : elle a proclamé son indépendance à trois reprises, en 1821, 1844 et 1865. Une histoire marquée par des périodes de domination, de résistance et, parfois, d’entraide, dans un passé où les relations entre les deux nations de l’île ont oscillé entre conflit et coopération.

La première indépendance survient en 1821, mais elle trouve ses racines plus tôt. En 1814, par le Traité de Paris, l’Espagne récupère la partie orientale de l’île, mettant fin à un premier élan d’autonomie. Sept ans plus tard, le 30 novembre 1821, José Núñez de Cáceres, un criollo (créole) cultivé, s’allie au colonel noir Pablo Alí, à la tête du Batallón de Pardos Libres (bataillon des mulâtres libres), pour désarmer les troupes espagnoles à Santo Domingo. Pendant une nuit, ils hissent un drapeau tricolore et proclament l’État indépendant de la Partie espagnole d’Haïti, rêvant d’intégrer la Confédération de la Grande-Colombie, qui englobe alors des territoires correspondant à l’Équateur, au Panama, au Venezuela et à la Colombie actuels.

Cette indépendance, effective dès le 1er décembre 1821, ne dure que jusqu’au 9 février 1822. La veille, le président Jean-Pierre Boyer franchit la frontière avec 12 mille soldats. Accueilli triomphalement par la population de Santo Domingo, il reçoit les clés de la ville au son de 21 coups de canon et d’un Te Deum chanté dans la cathédrale. L’île est unifiée sous le drapeau haïtien, et Núñez de Cáceres, dépassé, s’exile après une ultime tentative pour rallier Bolívar. Cette période, dite « république éphémère », marque le début d’une histoire partagée.

De 1822 à 1844, la partie orientale de l'île est rattachée à la République d’Haïti. Boyer réorganise l’administration en six départements : le Nord, l'Ouest, le Sud et l'Artibonite à l’ouest, tandis que l’est est divisé en Ozama et Cibao. Il abolit l’esclavage dans l’Est mais impose des lois strictes, dont le Code rural, qui oblige les habitants à cultiver des produits d’exportation. Les biens de l’Église catholique sont saisis, et les différences culturelles, notamment la langue espagnole et le catholicisme face au français et aux traditions haïtiennes, suscitent du mécontentement.

Les Dominicains refusent de contribuer au paiement de l’indemnité imposée par la France. La politique foncière et la réorganisation de l’agriculture imposées par le gouvernent haïtien renforcent leur hostilité. La crise politique et économique qui s’ensuit est exploitée par les opposants au régime boyériste, tant à l’est qu’à l’ouest, aboutissant au renversement de Boyer en 1843 et à une instabilité prolongée.

En 1838, Juan Pablo Duarte fonde La Trinitaria, une société secrète d’inspiration catholique et libérale, structurée en cellules clandestines pour organiser la séparation de l’Est. Exilé en 1843, il ne voit pas l’aboutissement immédiat de son projet, mais ses idées continuent d’influencer le mouvement indépendantiste dominicain.

 1844 : La séparation d’Haïti

Le 27 février 1844, la deuxième indépendance éclate dans la capitale. À la Puerta del Conde, vers onze heures du soir, Francisco del Rosario Sánchez et Matías Ramón Mella tirent un coup de canon et hissent le drapeau bleu et rouge orné d’une croix blanche. Duarte, toujours en exil, est absent, mais son influence guide l’action. Avec Tomás Bobadilla, ancien fonctionnaire de Boyer devenu premier président de la Junta Central Gubernativa (Junte centrale gouvernementale), et les frères Pedro et Ramón Santana, riches hateros (éleveurs), ils occupent la forteresse Ozama et chassent les militaires haïtiens sans effusion de sang. La République dominicaine est fondée, avec pour devise Dios, Patria y Libertad (Dieu, Patrie et Liberté), officialisée par une constitution en novembre 1844.

Il est crucial de noter que La Trinitaria n’était pas qu’un groupe de rebelles : c’était une vision d’État souverain, opposée à toute tutelle, y compris celle de Boyer. Le soutien citoyen et militaire est massif dans l’Est, bien que certains restent sceptiques, hantés par la peur d’un retour à l’esclavage. Dans les forces armées, des mutineries éclatent, mais Bobadilla et José Joaquín Puello, dirigeant noir influent de La Trinitaria, assurent qu’il n’y aura pas de régression. Convaincus, les récalcitrants déposent les armes.

Mais la paix reste fragile. Dès 1845, le président Louis Pierrot lance une offensive pour reprendre l’Est, suivi par les campagnes militaires de Faustin Soulouque en 1849, 1853 et 1855-1856. Les Dominicains, sous la direction de Pedro Santana, repoussent ces assauts, notamment lors des batailles de La Estrelleta et Beller. Santana, devenu chef militaire, écarte les trinitaires : Duarte, Sánchez et Mella sont exilés, et Puello est réprimé en 1847. En 1861, face à une économie en ruine et à la crainte d’une nouvelle incursion haïtienne – renforcée par la prise temporaire de l’île d’Alta Vela par des Américains en 1860 –, Santana proclame l’annexion à l’Espagne le 18 mars. Sánchez, opposé à cette recolonisation, entre depuis le territoire haïtien avec des partisans, mais, trahi, il est fusillé le 4 juillet 1861. La République dominicaine redevient colonie espagnole.

 1865 : La Restauración triomphe

Le 16 août 1863, un cri résonne à Capotillo, dans l’actuelle province de Dajabón. Santiago Rodríguez et Gregorio Luperón, général mulâtre charismatique, mènent une révolte contre l’Espagne. La guerre de la Restauración (restauration), faite d’embuscades dans les mornes et de combats acharnés de 1863 à 1865, mobilise paysans, anciens esclaves et criollos. Le président Fabre Geffrard soutient le mouvement en fournissant armes et munitions depuis son territoire, un geste qui contraste avec les incursions passées. Les maladies tropicales, ravageant les soldats espagnols, accélèrent leur défaite. Le 3 mars 1865, la reine Isabel II d’Espagne signe l’abandon définitif de l’île, et les troupes espagnoles quittent le territoire. La République est restaurée le 16 août.

Après 1865, les relations entre Haïti et la République dominicaine évoluent. Rivière Hérard, successeur de Boyer, a tenté une campagne militaire en 1844 sans succès, suivi par les échecs de Pierrot et Soulouque. En 1867, sous le gouvernement de Geffrard, un traité de non-agression est signé, puis un accord de paix est conclu en 1874 pendant la présidence de Michel Domingue.

Plusieurs villes auparavant dominicaines, comme Hincha (aujourd’hui Hinche), Juana Mendez (Ouanaminthe), San Rafael de La Angostura (Saint-Raphaël), San Miguel de la Atalaya (Saint Michel de l’Attalaye), Las Caobas (Lascahobas) et Veladero (Belladère), restent isolées de Santo Domingo. La gourde y circule, et le créole y est parlé de plus en plus.

Après plusieurs tentatives infructueuses d’arbitrage et une médiation non aboutie du pape Léon XIII en 1901, la frontière, négociée sous l’égide des États-Unis – qui occupent alors Haïti et la République dominicaine –, est fixée par le traité du 21 janvier 1929, signé à Port-au-Prince par les présidents Horacio Vásquez et Louis Borno.

Aujourd’hui, chaque 27 février, les Dominicains célèbrent 1844 avec un défilé militaire et des festivités. Mais les trois indépendances – l’éphémère de 1821 avant Boyer, la séparation de 1844 face à Hérard et la Restauración de 1865 avec l’aide de Geffrard – révèlent une histoire où Haïti fut tour à tour occupant, adversaire et allié.


Crédit: Claudel Victor

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Des membres de l’organisation terroriste Viv Ansanm incendient les locaux de Radio Caraïbes

PORT-AU-PRINCE, jeudi 13 mars 2035 – L’attaque criminelle perpétrée par des membres de l’organisation terroriste « Viv Ansanm » contre les l...