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dimanche 2 mars 2025

Général Thomas Alexandre, le premier des Dumas.

Né esclave et décédé général il y a deux siècles, cet illustre fils d'Haïti, a parcouru un chemin improbable depuis les habitations de Saint-Domingue jusqu'aux plus hauts rangs de l'armée révolutionnaire française, avant de connaître une disgrâce soudaine et injuste.

Thomas Alexandre Dumas voit le jour le 25 mars 1762 sur l’habitation Madère, dans la localité de Guinaudée, près de Jérémie. Il est le fruit de l’union entre le marquis Alexandre Davy de la Pailleterie, noble normand venu chercher fortune dans la colonie, et Marie-Cessette Dumas, esclave d’origine africaine. Dans cette Saint-Domingue du XVIIIe siècle, véritable usine à sucre bâtie sur l’exploitation esclavagiste, l’enfant mulâtre grandit dans un environnement paradoxal : libre par son statut, mais marqué par les profondes inégalités d’un régime colonial foncièrement raciste.

La vie du jeune Thomas Alexandre bascule en 1772, lorsqu’à l’âge de dix ans, il perd sa mère. Ce drame conduit à l’un des épisodes les plus troublants de son existence : son propre père le vend comme esclave. Il s’agit d’une “vente à réméré”, un contrat qui inclut, par principe, la possibilité de rachat. Trois ans plus tard, rongé par le remords, le marquis rachète son fils. Ainsi, en décembre 1775, à l’âge de treize ans, Thomas Alexandre quitte définitivement sa terre natale pour rejoindre la France.

Arrivé en métropole, il prend officiellement le nom de Thomas Alexandre Davy de la Pailleterie et reçoit l’éducation d’un jeune aristocrate. Installé à Paris, son père dépense généreusement pour sa garde-robe et son instruction, notamment en équitation et en escrime, disciplines dans lesquelles il excellera.

 Au nom de la mère

L’année 1786 marque un tournant décisif dans sa vie. Son père se remarie avec une femme beaucoup plus jeune, Marie Retou, et des tensions surgissent entre eux. Privé du soutien financier paternel, Thomas Alexandre décide de s’engager dans l’armée française. Son père refuse qu’il utilise le nom aristocratique pour un simple engagement militaire. Il prend alors une décision symbolique forte : il adopte le nom de sa mère et devient Alexandre Dumas.

C’est sous ce nom qu’il s’enrôle comme simple cavalier dans le régiment des Dragons de la Reine. Ce choix témoigne d’un attachement profond à ses origines maternelles et à sa terre natale. Le nom de Dumas, attribué à sa mère parce qu’elle vivait dans un « mas » (sorte de ferme), deviendra l’un des patronymes les plus célèbres de la littérature française.

À Paris, il se lie d’amitié avec le chevalier de Saint-George, autre personnage d’exception, né lui aussi esclave en Guadeloupe et devenu l’un des courtisans les plus en vue du siècle des Lumières. Cette rencontre influencera sa carrière militaire, car c’est Saint-George qui le fera nommer sous-lieutenant.

La Révolution française de 1789 ouvre des perspectives inédites pour lui. Sa carrière militaire connaît alors une progression fulgurante. En 1792, il sert dans la Légion franche des Américains, composée d’Antillais et d’Africains, sous les ordres du chevalier de Saint-George. Il gravit rapidement les échelons et devient, en 1793, à 31 ans, le premier général d’origine africaine de l’armée française.

Sa force physique exceptionnelle et son courage au combat lui valent une réputation légendaire. Lors de la campagne du Tyrol, en défendant seul un pont contre un régiment entier de cavalerie autrichienne, il reçoit de Bonaparte le surnom de "l’Horatius Coclès du Tyrol", en référence au héros romain. Les Autrichiens le surnomment le "Diable noir".

 Ascension fulgurante, disgrâce et oubli

Sa carrière le conduit sur plusieurs fronts : la Vendée (en France), l’Italie, l’Égypte. Nommé commandant en chef de l’armée de l’Ouest, il refuse d’exécuter les ordres de la Convention qui lui demande secrètement de « rayer de la carte » le département de la Vendée. « Ce que vous me demandez dépasse mes compétences militaires. Je vous prie d’être délivré de ce fardeau », écrit-il, risquant sa propre vie. Ce geste d’humanité lui vaut le surnom de “Monsieur de l’Humanité”.

Commandant de la cavalerie française lors de l’expédition d’Égypte en 1798, il se distingue notamment à la bataille des Pyramides. Mais cette campagne marque aussi le début de sa mésentente avec Bonaparte.

Leurs relations, initialement bonnes, se dégradent profondément. Dumas désapprouve les méthodes sanglantes de Bonaparte en Égypte, reste fidèle aux idéaux républicains face aux ambitions dictatoriales du futur empereur, et s’oppose fermement au rétablissement de l’esclavage.

Sur le chemin du retour d’Égypte en 1799, le destin le frappe cruellement. Contraint de relâcher à Tarente, en Italie, il est fait prisonnier par le Royaume des Deux-Siciles et croupit deux ans dans ses geôles. Il subit de nombreuses tortures qui le laissent physiquement diminué : estropié de la jambe droite, sourd de l’oreille droite, paralysé de la joue gauche, presque aveugle de l’œil droit et souffrant d’un ulcère à l’estomac qui finira par l’emporter.

Lorsqu’il rentre enfin en France en 1801, le pays a changé. Bonaparte, devenu Premier Consul, prépare le rétablissement de l’esclavage. En 1802, Dumas refuse catégoriquement de participer à l’expédition Leclerc en route vers Saint-Domingue. Ce refus entraîne sa disgrâce définitive. En septembre 1802, il est mis à la retraite forcée et privé du paiement de 28 500 francs d’arriérés de solde pour ses années de captivité.

Les dernières années de sa vie sont marquées par la maladie, la pauvreté et l’amertume. Rayé des cadres de l’armée, privé de récompenses et de décorations (y compris la Légion d’honneur), il s’éteint à Villers-Cotterêts le 26 février 1806, à l’âge de 44 ans, laissant une veuve et trois enfants, dont un petit garçon de quatre ans qui porte son nom : Alexandre Dumas.

 Héritage littéraire

Si l’histoire officielle a longtemps négligé la mémoire du général Dumas, son fils réparera cette injustice et vouera à ce père qu’il a à peine connu une admiration sans bornes. Devenu l’un des écrivains les plus célèbres de son temps, il immortalisera sa figure à travers ses romans.

La silhouette imposante et la force légendaire du général se retrouvent notamment dans le personnage de Porthos des Trois Mousquetaires. Plus encore, l’amitié qu’il noua avec trois futurs généraux de cavalerie – Jean-Louis Espagne, Louis-Chrétien Carrière de Beaumont et Joseph Piston – inspira directement ce roman emblématique. Quant aux épreuves de sa captivité à Tarente, elles nourriront l’intrigue du Comte de Monte-Cristo.

Ainsi, par un étonnant retournement du destin, le nom de Dumas, hérité d’une esclave de Saint-Domingue, est devenu l’un des plus illustres de la littérature mondiale. Comme le soulignait Anatole France :

« Le plus grand des Dumas, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de Brixen. »

Son petit-fils, Alexandre Dumas fils, achèvera cette dynastie littéraire en devenant à son tour un écrivain reconnu, membre de l’Académie française et auteur de La Dame aux Camélias. Son fauteuil à l’Académie est aujourd’hui occupé par Dany Laferrière.

La reconnaissance officielle envers le général Dumas fut longtemps parcimonieuse. Son nom figure sur l'Arc de Triomphe de Paris, mais il fallut attendre longtemps pour qu'un véritable hommage lui soit rendu. Une première statue fut érigée en 1913 à Paris, aux côtés de celles de son fils et de son petit-fils. Mais ce monument fut détruit par les nazis en 1942, pendant l'Occupation de la France.

Ce n'est qu'en 2009, à l'initiative de l'Association des Amis du général Dumas et de l'historien Claude Ribbe, qu'une nouvelle sculpture à sa mémoire fut inaugurée au même endroit. C'est devant ce monument que se commémore désormais à Paris, chaque 10 mai, l'abolition de l'esclavage. Selon le vœu d'Alexandre Dumas père, fils du général, une statue identique devrait être placée à Port-au-Prince.

Un roman est consacré à la jeunesse d'Alexandre Dumas à Jérémie et en France. Intitulé Alex, fils d'esclave, il a été écrit par Christel Mouchard et publié chez Flammarion en 2019. Plus récemment, l'intérêt pour cette figure exceptionnelle s'est manifesté jusque dans sa terre natale. À Jérémie, un projet de Musée Alexandre Dumas est en cours de développement sur l'habitation Madère, dans la localité de Latibolière, où a vécu Marie-Cessette. Ce centre à vocation culturelle, sociale et écologique, qui s'étendra sur quatre carreaux de terre, comprendra notamment une maison centrale reconstituant symboliquement la case de la mère des Dumas.

Ce projet est fortement soutenu par la mairie de Villers-Cotterêts en France, qui a déjà fait don d'une série de documents et d'artefacts relatifs aux Dumas. En attendant l'édification du musée, ces précieuses pièces (correspondances, portraits, manuscrits, lettres d'écrou, autographes) sont provisoirement conservées au Collège Alexandre Dumas de Latibolière. Les consultations se poursuivent.

Deux siècles après sa disparition, la mémoire du général Alexandre Dumas retrouve progressivement la place qui lui revient dans l'histoire d'Haïti comme dans celle de la France. Fils de la terre haïtienne et héros de la Révolution française, il incarne un héritage partagé entre les deux nations.


 Crédit: Claudel Victor

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