Il avait 88 ans et avait révolutionné la littérature haïtienne en créant le spiralisme, où, comme dans une spirale et dans la vie, l’écriture est toujours en mouvement.
Je suis Foukifoura, le fou de Port-au-Prince, metteur en scène baroque des mardigras tragiques. Fou qui courra fou qui jouera. Fou qui rira fou qui mourra. » Dans le dernier roman d’In Koli Jean Bofane, Nation Cannibale, ces vers sont clamés avec force lors d’une soirée folle à Port-au-Prince où Lyonel Trouillot, René Philoctète, Evains Wèche, Inéma Jeudi, Marie-Ange Claude et d’autres auteurs haïtiens rivalisent dans des joutes poétiques. Et ces vers sont de Frankétienne. Qui est mort le jeudi 20 février, chez lui, à Port-au-Prince. Il avait 88 ans et laisse une cohorte de poètes et d’amateurs de littérature de Haïti et d’ailleurs endeuillés. « Frankétienne est connu et reconnu pour son œuvre foisonnante et le côté inclassable de son esthétique qui entend tout bousculer », dit sa maison d’édition québecoise Mémoire d’encrier.
Frankétienne est né Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Etienne d’Argent le 12 avril 1936 à Ravine Sèche, pas loin de Port-au-Prince. Sa mère n’avait que 14 ans. Elle aurait été violée par un Américain. D’où son apparence : clair de peau, noir de morphologie, les yeux bleus. Il a pris son pseudo pour écrire. Et il en a écrit, des poèmes, des romans, des textes qui n’appartiennent à aucun genre. En créole et en français. Il a aussi peint, écrit des pièces de théâtre, il a été musicien et chanteur, il a enseigné. Un artiste total. Et toujours engagé, toujours pétri par la conscience nationale. Dans les années 1960, sous l’ère Duvalier, alors que nombre d’écrivains quittent le pays, Frankétienne y reste, pour combattre de l’intérieur en écrivant.
Dans Ultravocal (1972), il dépeint le vertige de l’errance sans fin ni finalité des enfants de Haïti forcés à l’exode. Dans Mûr à crever (1968), quatre Haïtiens préfèrent se jeter dans la mer Caraïbe infestée de requins plutôt que de devoir retourner dans l’enfer de Duvalier.
A la fin des années 1960, avec Jean-Claude Fignolé et René Philoctète, il est l’initiateur du « mouvement spiraliste », inspiré du Nouveau Roman français, des écrits de James Joyce et des Chants de Maldoror de Lautréamont. « Ce courant, inspiré par la forme de la spirale, symbolise le mouvement perpétuel, le retour cyclique et la complexité de l’expérience haïtienne », dit le journal haïtien Le National. « Le spiralisme se caractérise par une écriture non linéaire, mêlant prose, poésie et théâtre, reflétant le chaos et la beauté de la réalité haïtienne. Cette approche innovante a redéfini les normes littéraires traditionnelles et offert une nouvelle voix à la littérature haïtienne ». Le Grand prix de la francophonie lui est attribué en juin 2021 par l’Académie française, pour sa contribution au maintien et à l’illustration de la langue française en Haïti.
A lire : Dézafi, roman de 1975 écrit en créole et traduit en français (Vents d’ailleurs), Ultravocal (Hoëbeke) et les éditions de Mémoire d’encrier : Anthologie secrète, Rapjazz : Journal d’un paria, Chaophonie, réflexion sur le temps, l’écriture et la ville, sous la forme d’une longue lettre au poète Rodney Saint-Eloi.
Crédit : Jean-Claude Vantroyen
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire