Haïti/Culture: Coupé Cloué, une légende née à Fondwa il y a 100 ans

Né le 10 mai 1925 à Fondwa, une localité près de Léogâne, Jean Gesner Henry, mondialement connu sous le nom de Coupé Cloué, aurait eu 100 ans cette année. Issu d’un milieu modeste, il s’installe très jeune à Port-au-Prince où il alterne entre études, ébénisterie et premières expériences musicales. Sa jeunesse, marquée également par le football, est à l’origine de son surnom emblématique : « Coupé Cloué », en référence à sa manière de « couper » le ballon et de le « clouer » avec force sur le terrain. Ce sobriquet allait devenir synonyme d’un style musical à nul autre pareil, mêlant humour, rythmes entraînants et observations sociales.

C’est dans les années 1950 que Jean Gesner Henry entame réellement son parcours musical. Après avoir abandonné les sérénades, il fonde en 1957 le Trio Select, qui deviendra plus tard l’Ensemble Select. Le groupe connaît ses premiers succès au Théâtre de Verdure, propulsé par Radio Caraïbes. Grâce à des lieux emblématiques comme le Cric Crac Ciné ou le Club Bamboche, et avec l’arrivée de musiciens comme Luc Raphaël Benito, Coupé Cloué impose peu à peu une signature musicale distincte qui résiste aux vagues du mini-jazz et s’enracine dans le cœur du public haïtien.

Les années 1970 marquent un tournant décisif : le passage au statut d’Ensemble, l’arrivée de musiciens talentueux, et l’adoption d’une formule rythmique nouvelle, fondée sur les percussions et la guitare, donnent naissance au « konpa manba ». Ce style unique se distingue par ses « prêches » entre les morceaux, pleins de dérision, de vérités sociales et d’allusions grivoises. Les chansons de Coupé Cloué, tout en se moquant gentiment des travers de la société, deviennent un miroir fidèle de la culture populaire haïtienne.

La consécration de Coupé Cloué ne s’arrête pas à Haïti. Dès la fin des années 1970, il conquiert l’Afrique. Son mélange de « konpa » et de « soukous » séduit le public africain, notamment en Côte d’Ivoire où il est couronné « roi ». Son charisme sur scène, son look africain assumé et son sens de la narration lui valent le surnom de « The Preacher ». Jusqu’à sa mort, Coupé Cloué restera l’un des artistes haïtiens les plus aimés du continent, surpassant même les grands noms dans l’adhésion populaire.

Malgré l’émergence du digital et l’évolution du compas dans les années 1990, Coupé Cloué demeure fidèle à sa formule. Il résiste aux modes, s’adapte sans se renier, et continue de sortir des albums jusqu’à ce que la maladie l’oblige à ralentir. Il fait ses adieux au public le 29 décembre 1997 dans une soirée émotive, un mois avant sa mort, survenue le 29 janvier 1998. Ce départ marque la fin d’une ère, laissant un vide immense dans la musique haïtienne.

Plusieurs tentatives ont été faites pour perpétuer son héritage musical, notamment par son fils et d’anciens membres de l’Ensemble Sélect, mais aucune n’a su raviver pleinement la magie du « konpa manba » original. L’œuvre de Coupé Cloué demeure inimitable, fruit d’un génie singulier, forgé dans la spontanéité, l’authenticité et la proximité avec le peuple. Son répertoire, trop souvent réduit à ses chansons légères, regorge en réalité de réflexions spirituelles, de critiques sociales et d’hymnes à la joie de vivre.

Aujourd’hui, cent ans après sa naissance, Coupé Cloué reste une figure indétrônable de la musique haïtienne. Son œuvre, plus que jamais, mérite d’être étudiée, célébrée et transmise. À travers ses mots, ses riffs de guitare, ses blagues mordantes et ses rythmes envoûtants, il continue de parler à l’Haïtien d’hier comme à celui d’aujourd’hui. Une légende ? Non. Un monument vivant dans la mémoire collective d’un peuple.

Crédit: Le Temoin