Né Joseph Jacques aux Gonaïves le 25 mai 1936, Joe Jack laisse derrière lui un héritage musical riche et une histoire personnelle marquée par une résilience exceptionnelle. Surnommé "l'homme-orchestre" ou encore "l'aveugle aux mille destins", cet artiste emblématique des années 70-80 avait réussi à transcender son handicap pour devenir l'une des voix les plus appréciées de la scène musicale haïtienne.
La vie de Joe Jack commence dans la douleur. Diagnostiqué aveugle à l'âge d'un an, le jeune Joseph Jacques grandit dans une société où les superstitions alimentent les rumeurs sur son handicap. Sa mère, Rose-Irène Georges, alors âgée de seulement 18 ans, aurait selon les croyances populaires de l'époque, été victime d'un sortilège pour avoir lavé le cadavre d'un cousin la veille de son accouchement.
Son enfance est marquée par l'exclusion et les difficultés. À cinq ans, son expérience à l'école tourne court. « J'arrive en classe avec mon livre de lecture. [...] Je glisse mes doigts sur la page du livre. Elle est lisse. À force de passer les mains sur les pages pour découvrir les mystères des lettres, le livre fut réduit en lambeaux. [...] À la fin de l'année, on m'a renvoyé de l'école », racontait-il dans son autobiographie "L'aveugle aux mille destins", publiée en 2010 aux Éditions Mémoire d'encrier.
La séparation de ses parents la même année accentue sa solitude. Son père, Marceau Jacques, soucieux de l'éducation de son fils, lui offre néanmoins la possibilité d'étudier dans des écoles spécialisées pour non-voyants à Port-au-Prince, puis à Boston. C'est en septembre 1955 que Joseph Jacques s'envole pour les États-Unis afin d'intégrer la Perkins School for the Blind.
Cette période américaine, bien que formatrice, lui fait découvrir le racisme. « Tout se déroulait relativement bien jusqu'au jour où un semi-voyant révéla aux autres pensionnaires que j'étais noir. À partir de ce moment, ils m'ont ignoré complètement », confiait-il dans ses mémoires.
À 22 ans, accablé par les épreuves et apprenant la séparation de sa mère d'avec son deuxième conjoint, Joe Jack tente de mettre fin à ses jours en avalant quatre lames de rasoir brisées enroulées dans du papier hygiénique. Même la mort ne voulait pas de lui, comme le soulignait son autobiographie.
Un destin remarquable
C'est la musique qui devient sa planche de salut. Après avoir appris "à analyser les différentes structures d'une composition musicale des grands compositeurs, des grandes œuvres classiques" auprès de son professeur Edward Jenkins, Joe Jack rentre en Haïti et enseigne l'anglais à l'école Saint-Vincent, établissement dédié aux personnes en situation de handicap.
En 1965, il fonde sa première formation musicale, "Les quatre cloches", qui anime les salons huppés de Port-au-Prince. « C'était pour nous, professeurs et élèves, une façon de prouver que même avec notre handicap nous pouvions mener une vie normale », expliquait celui qui allait enregistrer au moins huit albums au cours de sa carrière.
Sa discographie comprend des œuvres marquantes comme "Love Story" (1979), "Simplement Joe" (1979) ou encore "Live in New York" (1982). Parmi ses morceaux les plus célèbres figurent "Voyou voyelle", "Entre te voir et t'aimer", "La dernière fois", "Si mennaj mwen", "Timidité" et "Pwofesè lekòl". Son style, mêlant boléro et compas, séduisait particulièrement la clientèle des milieux huppés durant la période de la dictature, mais touchait également un public bien plus large.
Joe Jack quitte Haïti au milieu des années 80 pour s'installer à Montréal. Immigrant au statut précaire, il vit dans la clandestinité de 1984 à 1992, avant d'obtenir sa résidence permanente au Canada. « Non, je ne regrette rien », affirmait celui qui avait su surmonter toutes les barrières dressées sur son chemin.
En 2004, un accident vasculaire cérébral le prive de l'usage de son bras droit, l'obligeant à raccrocher son accordéon. Un mini-documentaire de 10 minutes intitulé "Joe Jack : Cœur de lion", réalisé par le cinéaste Paul-Henry Athis, témoigne de son parcours exceptionnel.
Le parcours de Joseph Jacques, dit Joe Jack, est celui d'un homme qui a transformé chaque obstacle en tremplin. Aveugle de naissance dans un pays où l'intégration des personnes handicapées reste un défi, il a su s'imposer comme un artiste accompli. Il aura marqué plusieurs générations par ses mélodies à l'accordéon et sa voix chaleureuse.
Crédit: Claudel Victor
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