Désigné par le Comité de Normalisation, invité par la Fifa à la cérémonie du tirage au sort de la Coupe du monde 2026, dans cet honneur qui lui a été fait, Wilner Nazaire n'est pas aussi brebis égarée qu'il paraît, lui que la FHF et la FIFA sont parties chercher pour être singulièrement honoré. C'est que les observateurs de la vie sportive des mondialistes ont pensé que la FHF a délaissé le troupeau bien discipliné des soixante-quatorzards en faveur de la présumée "Brebis égarée" Wilner Nazaire, lui que nous n'avons plus revu, nous trompions-nous depuis 1974, à la vérité depuis 1976. Vous le verrez plus loin. Dit ainsi, c'est reconnaître un certain mérite des mondialistes de 74 restés attachés au pays d'Haïti que voici et à son football, à un titre ou à plusieurs. Comme quoi, l'international haïtien à honorer en la circonstance aurait dû être choisi entre Philippe Vorbe ou Tom Pouce, Pierre Bayonne ou Marion Léandre, Henry Francillon ou Guy Saint Vil. Et là encore, fragilité de santé, retraite totale de la vie sociale, obligations familiales, pourraient compliquer le choix. Par exemple, Marion Léandre au chevet de son épouse convalescente d'une fracture de l'os iliaque, la même dont avait souffert Guy Saint-Vil, il y a deux ans et qui l'oblige à se mouvoir difficilement, seulement à l'aide d'un déambulateur.
Alors, Wilner Nazaire, pourquoi ne mériterait-il pas cet honneur?
Parce que depuis son dernier match perdu 4-1 contre le Mexique le 9 octobre 1977, le football haïtien n'a plus eu de ses nouvelles. Même pas le 22 mai 2007, lors de l'hommage rendu par le président René Préval à l'équipe du mondial 1974 dont il était le capitaine. Pas une visite au pays. Pas une interview accordée à un média haïtien. Il aurait même perdu son ayisyen, selon deux de ses anciens coéquipiers qui en rigolent. Mais, Wilner Nazaire est-il absolument coupable "d'abandon de patrie"?
Jacques Dunac et Jocelyn Halaby, deux de ses amis d'enfance, témoins de ses succès et de ses déboires, expliquent:
" Nènè a souffert des promesses non tenues de la fédération et du gouvernement : primes de qualification, frais de séjour en Europe réduits à leur plus simple expression, dissolution de la Sélection par communiqué fédéral avant même que l'avion du retour de coupe du monde n'atterrisse, enfin et pas la moindre, propriété de 1000 mètres carrés reçue en Don Spécial du Président de la République mais spoliée par des affairistes du régime".
Concernant le dernier point de déception, je détiens la copie des documents-titres de Serge Ducoste signés par le président Jean-Claude Duvalier et le ministre des Finances Ernst Bros dont Sergo n'a jamais pu prendre possesion. À toutes ces déceptions, il faut ajouter au dossier de la défense de "l'accusé" Wilner Nazaire, toujours selon Dunac et Halaby, la goujaterie d'avoir été interdit de départ par les autorités de l'immigration à l'aéroport international de Port-au-Prince, alors qu'il était rentré au pays pour se marier. Outrance odieuse! "Vous devez avoir l'autorisation du président de la République", lui avait asséné l'agent de l'immigration. Ce qui suit est littéralement incroyable.
"Dans la grande voiture bleue que Tassy mettait à ma disposition quand je rentrais pour les matchs de la Sélection, raconte l'ancien capitaine du Racing et de la Sélection, je me suis rendu au Palais National. Les gardes au portail m'avaient tout de suite reconnu et ils ont trouvé tout à fait normal d'informer leur supérieur de ma démarche de rencontrer le président. Rapidement, tous les postes de contrôle en étaient informés. On m'a fait entrer et m'a installé à la salle d'attente, à peine quelques minutes. J'ai reporté au président ce qui s'est passé à l'aéroport et lui a expliqué que j'ai rendez-vous avec mon club Valenciennes pour la reprise de l'entrainement. Sa réponse a été tout simplement "qu'il comprend que je doive partir mais de retourner dès qu'on m'appelle". Tout cela est sidérant.
Supposons que nous nous soyons érigés en juge effectif de Nene Nazaire, Dunac et Halaby ses avocats, il faut bien continuer à lui donner la parole sur la question de son indifférence envers Haïti.
Wilner Nazaire:
- Ah, non! Mes compatriotes ont oublié que déjà, en 1975, j'ai amené mon club Fontainebleau en Haïti, pour une tournée du Nord au Sud, évidemment à Port-au-Prince aussi, au stade Sylvio Cator.
- Et pour l'hommage rendu à l'équipe de 1974 par le président René Préval, le 22 mai 2007 au Palais National?
- Nazaire - Je voulais absolument venir mais d'abord, le Président de la Fédération m'avait appelé trop tard et, surtout, je travaillais dans un IME (Institut Médico Éducatif) où l'on s'occupe d'enfants diagnostiqués autistes. En France, quand on travaille dans ces institutions, il faut une autorisation spéciale pour voyager à l'étranger. Et cette autorisation se donne très rarement et au bout d'un protocole ardu.
Wilner Nazaire ne rumine pas de frustration vis-à-vis du pays. La prime de qualification de 1973? Importante, oui, mais il n'en fait pas une fixation, même pas pour la propriété de 1000 mètres carrés donnée par le gouvernement, spoliée par la mafia voleuse de terres et de maisons dans le pays. En revanche, l'homme de la rue Montalais, tout en gardant sa joie de parler de sa carrière internationale, exprime une certaine amertume que ses investissements au pays aient été volés. Manno s'en était plaint aussi, de même que Frantzy Mathieu à la santé délicate aujourd'hui. Nazaire a pris la précaution de conserver ses titres de propriété au haut de Delmas en lieu sûr. Il compte les remettre à ses deux fils avant de mourir. On ne sait jamais.
"Wilner Nazaire est un grand timide, même dans les affaires féminines, contrairement à Tom Pouce", s'amuse l'ancien international, capitaine du Don Bosco, Jeannot Paul. Yves Joseph et Julio Midy, deux fins observateurs du quartier du bas Bel Air, rejoignent Jeannot, en ce qui a trait à la timidité de l'idole de leur adolescence, mais sur le plan de son caractère, son éducation en général: "réservé, courtois et solitaire en dehors du terrain", soutiennent les deux résidants de Boston.
Vient maintenant le temps de parler sur un ton plus football. Son transfert du Racing CH à Valenciennes. Comme cela se répète souvent, de temps en temps, les spectateurs se souviennent de ce que les acteurs oublient. Par exemple, pour contextualiser son transfert en France, Nazaire erre en avançant que Tassy, entraîneur de l'équipe de la Concacaf, "avait appelé cinq Haïtiens" au lieu de sept, à la Copa Independencia du Brésil. Il m'a fallu compter avec lui "Francillon 1, Philippe Vorbe 2, Tom Pouce 3, Guy François 4, Barthélemy 5, Manno Sanon 6 et vous-même, (oui moi-même) 7", pour le convaincre. Toutefois, il n'a rien oublié de la conversation qu'il avait avec Marius Trésor et Jean-Pierre Adams à l'hôtel où étaient logées l'équipe de France et celle de la Concacaf pour la Copa Independencia du Brésil. Survint Georges Boulogne qui interrompt la causerie des trois jeunes hommes en annonçant illico presto à l'Haïtien que Valenciennes est prêt à le prendre sous contrat. C'était du sérieux puisque deux semaines après, au début d'un entraînement de la Sélection à Port-au-Prince, Ernest Jean-Joseph, se rappelle Nazaire, s'approcha de lui et lui affirma sans ambages "Blan sa a ou wè nan tribin nan s on w kontra li pote pou ou wi". Comment Jean-Joseph a-t-il pu savoir cela? En tout cas, dès le lendemain, le dit Blanc était chez Nazaire au 30 de la rue Montalet, en train de négocier avec Yolande Marie Jeanne Laventure Nazaire, sa mère, qui avouera en substance n'être pas maîtresse de l'affaire et qu'il faudrait qu'on s'adresse au président du pays et à celui du Racing. Ce qui fut fait très rapidement. Et Nazaire s'en alla à Valenciennes, jouer en football professionnel. Manno Sanon étant devenu son voisin à Anvers, Belgique, après la CM de 1974, ils pouvaient chanter ensemble, par anticipation, avec Pierre Bachelet,
" Au Nord, c'étaient les corons
La terre, c'était le charbon
Le ciel, c'était l'horizon
Les hommes, des mineurs de fond".
En concentration à Port-au-Prince où à l'étranger, Nazaire était compagnon de chambrée de Manno Sanon. Je n'ai pas eu assez de temps pour lui demander la teneur des conversations qu'il a eues avec son camarade le soir de la défaite contre l'Italie et du désastre de la Pologne au cours duquel sa malléole interne gauche s'était brisée. Mais j'imagine ses sensations aigre-douces lors des innombrables flashback des séquences du but de son camarade contre Zoff, le capitaine italien avec lequel il avait échangé les fanions en ce très fameux 15 juin 1974. Pierre Bayonne gêne Fachetti qui centre quand même; le coup de tête de Nazaire vers Philippe Vorbe est trop précis pour ne pas être une passe. La suite est connue par cœur: passe de Vorbe, Sanon en finisseur. Donc, Nazaire l'antépénultième, Vorbe la pénultième.
Au camp Nord du stade Sylvio Cator aussi, le 10 décembre 1976, Nazaire avait l'état d'esprit d'un mineur de fond. Il fouilla d'un rush les entrailles de l'équipe cubaine et s'appuya sur le cadet de Pipo Vorbe, Ponpon, qui dévia sur Manno Sanon et ce fut l'égalisation, 1-1. Là encore, Nazaire l'antépénultième, un Vorbe le pénultième et Sanon le finisseur. Comme la succession de Nazaire à Vorbe au capitanat de l'équipe nationale. Cette égalisation nous permit de nous rendre à Panama, gagner le match d'appui, 2 buts de Tom Pouce qualificatifs pour Mexico 1977. Nous chantions alors en ce 29 décembre de 1976 la victoire d'Haïti à l'unisson.
La suite sera moins enchanteresse pour Nazaire.
Mexico, 9 octobre 1977, 4-1. Pelaw sauve l'honneur.
Ce sera l'adieu de Nazaire à la Sélection Nationale à la suite d'une première mi-temps affreuse dans la très haute touffeur de Mexico. Pour l'équipe et pour lui-même, en particulier, perdu au milieu du terrain où Piontek l'avait placé et où régnait Leonardo Cuellar. Souhaitons que le 5 décembre 2025 ne soit pas les derniers moments de Nazaire en compagnie du football haïtien. Pourquoi pas le 19 juin de l'année prochaine, Haïti-Brésil à Philadelphie, en compagnie des douze autres survivants de 74 et des "presque mondialistes" Tcho Gervais, Jean-Marie Jean-Baptiste, Théodore Jean-Baptiste, Charles Ponpon Vorbe, Raynald Dévilmé, André Dély, invités par l'État haïtien et la FHF? Quelle panache promotion ce serait pour notre pays que la principale caméra du match fasse trois ou quatre gros plans sur ces gloires au sein desquelles il n'y aura pas un zeste de suspicion de Brebis égarée!
Crédit: Patrice Dumont avec Radio Internationale d'Haïti
12 décembre

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire