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mardi 25 novembre 2025

Haïti/Musique/Nécrologie: Dadou Pasquet, “Paka Pala” pour toujours

 

Dadou Pasquet, “Paka Pala” pour toujours

André "Dadou" Pasquet

Dadou Pasquet, guitariste et cofondateur du Magnum Band, est décédé dimanche aux États-Unis à l’âge de 72 ans. L’artiste a enregistré 34 albums au cours d’une carrière de plus d’un demi-siècle.

André « Dadou » Pasquet a quitté ce monde entouré de ses proches, comme l’a annoncé sa famille sur les réseaux sociaux. Quelques jours avant son décès, ses proches avaient informé le public de son état de santé critique, l’empêchant de se produire sur scène ou de communiquer. Dans un message empreint d’émotion, ils avaient exprimé leur gratitude envers les fans et amis du musicien, sollicitant prières et compréhension. Les détails concernant les funérailles seront communiqués ultérieurement. En attendant, ils ont invité le public à perpétuer son héritage en écoutant et partageant sa musique, afin que son œuvre continue de résonner.

Né le 18 août 1953 à Port-au-Prince, André Pasquet était le benjamin d’une fratrie de sept enfants, au sein d’une famille profondément ancrée dans la musique. Du côté maternel, son oncle Rodolphe “Dòdòf” Legros, chanteur, compositeur, guitariste et arrangeur, avait marqué l’histoire avec le célèbre titre « Twa fèy twa rasin ». Son cousin, Pierre Prato, figure également parmi les influences majeures de la scène musicale haïtienne.

Dans ce foyer où la musique régnait en maître, Dadou s’initie très tôt aux instruments, entre 9 et 12 ans, développant les réflexes d’un musicien accompli. Son parcours artistique est ainsi façonné dès son plus jeune âge, dans un environnement où la mélodie et le rythme étaient omniprésents.

À la fin des années 1960, la famille Pasquet quitte Haïti pour New York, fuyant le régime de Duvalier. Malgré son jeune âge, Dadou se forge rapidement une réputation solide auprès des musiciens de la génération Nemours-Sicot. Dès 13 ans, il partage la scène avec des artistes confirmés tels que Richard Duroseau, Gérard Thézan (ex-chanteur de l’Ensemble Wébert Sicot), Fritz Grand-Pierre (ex-bassiste de l’Ensemble Nemours Jean-Baptiste), Guy Durosier, Raymond Sicot et le maestro Raoul Guillaume. Ces collaborations précoces témoignent de son talent exceptionnel et de sa maturité artistique précoce.

Installé à Brooklyn, Dadou collabore pendant trois ans avec Alix « Tit » Pascal, Charles Duroseau et Pépé Bayard. En parallèle, il poursuit des études de musique au Staten Island Community College, où il se forme au piano, à l’harmonie et au chant. Cette formation académique vient renforcer son expérience pratique, consolidant ainsi sa palette musicale et sa maîtrise des différents aspects de l’art.

À 15 ans, Dadou rejoint le Tabou Combo et participe à son premier concert le 31 décembre 1970, au club Bleu Galant. Entre 1970 et 1976, il contribue activement à l’enregistrement de quatre albums majeurs du groupe : « À la Canne à sucre » en 1972, « Respect » en 1973, « 8e sacrement » en 1974 et « The Masters » en 1975. Il y assure les arrangements ainsi que les solos de guitare, apportant une dimension technique et expressive qui enrichit considérablement le son du groupe.

Son arrangement du titre « New York City », composé par Jean-Claude Jean et mis en paroles par Shoubou, extrait de « 8e sacrement », connaît un succès fulgurant en France. Le morceau domine les hit-parades pendant huit semaines en 1974, se vendant à des centaines de milliers d’exemplaires. Grâce à ce tube, le Tabou Combo s’impose sur la scène internationale. Dadou réclame aussi son crédit pour le solo de guitare de "Mabouya", chanson reprise par Carlos Santana sous le titre "Foo Foo" sur l'album "Shaman" certifié Double Platine en 2002. Alors que les musiciens de Tabou Combo ont reçu des royalties, Dadou Pasquet affirme n'avoir rien perçu, une version contestée par Herman Nau qui précise qu'il jouait sous la direction de Jean-Claude Jean sans être auteur ni compositeur de la chanson.

La différence Magnum

En 1975, Dadou quitte le Tabou Combo pour réaliser un rêve qu’il partage avec ses frères, Claude « Tico » Pasquet et Carlos Pasquet : promouvoir une musique à la fois enracinée dans le terroir haïtien et ouverte aux influences extérieures. Lors de réunions informelles avec des musiciens comme Waag Lalanne, Nasser Chery et Pierre Varnel, le concept du futur groupe mûrit peu à peu. Leur vision est claire : créer un konpa de haute qualité, authentique, éclairé par le funk, le jazz et d’autres influences musicales.

Les trois frères apportent chacun des expériences variées et complémentaires. Dadou, en tant que guitariste accompli, sort du Tabou Combo avec une réputation déjà bien établie. Tico, passionné de percussions et batteur, avait joué dès 16 ans avec les Gypsies de Pétion-Ville et affronté le géant Tito Puente lors d’une soirée mémorable à New York. Carlos, quant à lui, choisit le nom « Magnum » pour symboliser la grandeur, la puissance et l’attraction magnétique du projet.

Le 24 juin 1976, lors de la Saint-Jean, les trois frères montent pour la première fois sur scène, lors d’un concert donné au temple maçonnique « Arche de Noé » à Miami. Fidèles à leur philosophie, ils adoptent le slogan « La seule différence ». La formation initiale comprend également Yvon Mondésir au chant, Michel Moïse à la basse, Waag Lalanne aux claviers et Claude Denizé. Michel Moïse venait du Shleu-Shleu, et Rod Lalanne, frère de Waag, de l’orchestre de Nemours Jean-Baptiste.

Le Magnum Band débute véritablement au club Ka Bouki de Brooklyn. Son répertoire mêle des reprises du folklore haïtien à des compositions originales. Les débuts ne sont pas faciles : le public, habitué à une ambiance festive plus qu’à une musique élaborée, se montre parfois réticent. Après un passage en Californie, alors fortement marqué par le disco, le groupe s’installe en Floride.

Au fil du temps, certains des premiers membres quittent l’aventure. Les frères Pasquet recomposent alors le groupe avec des musiciens tels que Essud Fungcap au chant, Nasser Chery à la basse, Serge Cicéron aux congas, Ernst Gabriel aux percussions, Gérard Jean-Baptiste à la trompette, Russ Harden au trombone, Bob Curtis au saxophone et Hernandez Gutierrez au piano. Plusieurs de ces musiciens sont américains, ce qui enrichit considérablement la palette sonore du groupe.

Le son du Magnum Band évolue vers une fusion audacieuse : un konpa modernisé, teinté de funk et d’influences américaines, évoquant le style d’Earth, Wind & Fire. La complicité vocale entre Essud Fungcap et Dadou Pasquet dessine les premières couleurs des albums du groupe. Très vite, le Magnum Band devient un véritable laboratoire musical où les rythmes traditionnels rencontrent le jazz, le funk et d’autres influences planétaires.

En parallèle

Dès 1976, l’histoire de Dadou Pasquet se confond avec celle du Magnum Band : il en devient l’icône et le chanteur principal. À la fin des années 1970, leurs performances électrisantes à Brooklyn et dans le Queens enflamment la diaspora haïtienne.

Leur premier album, « Expérience », paraît en 1979. Il contient des titres marquants comme « Expérience », « La Foi », « Magnum Dehors », « Panama m’ Tombe », « Vanité » et « Trahison », introduisant au public le son distinctif du Magnum Band.

En 1980, Dadou Pasquet réalise son premier projet solo, « Chèché La Vi », accompagné par le Magnum Band. Cette même année, le groupe sort l’album « Jéhovah », marqué par le retour d’Yvon Mondésir au chant et l’arrivée de Christopher Fletcher aux claviers. Le Magnum Band effectue alors sa première tournée internationale, annonçant une présence croissante de la musique haïtienne à l’échelle mondiale.

Au début des années 1980, de retour en Haïti, le groupe connaît son apogée. Fort d’une formation de treize musiciens, il se produit régulièrement en province et à Port-au-Prince, notamment au Méridien Night Club, où il attire la grande foule chaque dimanche pendant un an et demi.

L’album « Piké Devan », publié en 1981, inaugure un son audacieux. L’album suivant, « Adoration », sort en 1982 et inclut le morceau « Liberté », qui évoque l’épopée des boat people haïtiens. En 1983, « Paka Pala » propulse le Magnum Band dans la culture populaire : l’expression du titre entre dans le langage courant et est même reprise par des acteurs politiques. Cette œuvre est enregistrée avec Nestor Azerot au chant, Thomas Mitchell au saxophone et Cliff Ratliff à la trompette.

En 1984, Dadou sort son deuxième album solo, « Nou Rinmin Pour La Vie », toujours accompagné par le Magnum Band, qui retrouve New York avec Gregory Laporte aux claviers, Nestor Azerot aux percussions et Roland Cameau à la guitare. Le groupe s’illustre dans des lieux emblématiques : le Prospect Park, le Coconut Groove, le Penguin Night Club et le Château Royal.

Reconnaissance internationale

La carrière de Dadou Pasquet et du Magnum Band est jalonnée d’honneurs et de moments forts à l’échelle mondiale. Le 19 juillet 1991, le maire de Boston, Raymond L. Flynn, proclame officiellement cette date comme le « Magnum Band Day », reconnaissant ainsi l’apport exceptionnel du groupe à la culture musicale. Un an plus tard, en 1992, Dadou et le Magnum Band enregistrent l’album « Live At Berklee! », immortalisant leur virtuosité sur scène.

En 1993, l’artiste sort un album solo intitulé « Islam… », marquant une étape spirituelle dans sa vie. Le Magnum Band, de son côté, publie « Pure Gold » en 1994. En 1996, le groupe est invité à se produire pendant les Jeux Olympiques d’été d’Atlanta, offrant au monde une vitrine inédite de la culture haïtienne. Cette même année, ils sortent l’album « San Fwontie », et en 1997, ils représentent Haïti au World Creole Music Festival en Dominique. L’année 1997 voit également paraître trois volumes d’anthologie retraçant leur parcours.

En 1998, Dadou Pasquet publie deux tomes des « Archives 30ème 1968-1998 », et, en 1999, il sort « Révélation - Cè ou'm vlé » avec le Magnum Band. L’an 2000 marque la publication de deux nouveaux volumes d’anthologie. En 2001, le groupe célèbre son 25ᵉ anniversaire avec un album du même nom.

En 2003, il enregistre « Dadou En Troubadour ». L’album connaît des difficultés juridiques : le producteur Papa Jube le distribue en Europe avant la signature d’un contrat, et la diffusion se fait dans les Caraïbes et aux États-Unis sans que Dadou ne soit initialement rémunéré. Cette même année, le prestigieux magazine Guitar Player le présente comme « l’ambassadeur à six cordes d’Haïti ».

Le Magnum Band continue de produire : « Oulala! » sort en 2004, « 30 Ans » en 2007, puis « SaKalaKawè » en 2009. Toujours en 2009, la ville de North Miami Beach rend hommage au groupe. Dadou Pasquet, quant à lui, publie « Evolution », un album collaboratif avec ses trois enfants : son fils aîné Elijah, qui est également son manager, sa fille Dadeve, chanteuse et choriste, et son plus jeune, Abdul, arrangeur travaillant dans un studio américain.

En 2016, une résolution législative consacre le mois de juin au Magnum Band dans l’État de New York, et le maire Bill de Blasio déclare le 24 juin comme un « Magnum Band Day » à New York. En février 2018, Dadou présente l’album « Bonjour Haïti » lors d’une séance de signature au Presse Café. En 2022, le groupe sort « San Linyon San Fòs », puis en 2024, Dadou Pasquet publie « Generations », en collaboration avec Kahmik. Cette même année, le cofondateur et percussionniste Carlos Pasquet décède.

Sur le plan spirituel, la vie de Dadou Pasquet est tout aussi remarquable. Il se convertit à l’islam à 40 ans, après avoir été élevé dans la religion catholique et avoir exploré le vodou, la franc-maçonnerie et la Rose-Croix. Marié à la même femme, restée chrétienne, leurs enfants ont grandi dans cet équilibre entre ces deux univers religieux.

Engagé socialement, Dadou Pasquet a participé à des initiatives comme « Atis pou Ayiti » et « Bay Ayiti Yon Chans ». Avec la communauté musulmane d’Haïti, il a mené une initiative de nettoyage des rues du pays pendant trois mois, démontrant ainsi son attachement à son pays natal et son désir de contribuer à son amélioration.

En près de cinquante ans de carrière, André « Dadou » Pasquet a profondément marqué la musique haïtienne, fusionnant les rythmes traditionnels avec des influences funk, jazz et mondiales. 34 albums et plus d’une centaine de titres, dont les emblématiques « Ou Pila », « Ashadei », « Libète », « The Best in Town », « Okay », « Révélation », « Adoration », « Congo nan vodou », « Paka Pala », « Dife », « Pike Devan »…


Dadou Pasquet restera à jamais le « Paka Pala » du konpa haïtien.




Crédit: Claudel Victor

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