Le chaos haïtien n’est plus seulement une affaire interne : il est désormais au cœur des grandes manœuvres diplomatiques mondiales. La Résolution 2793 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée ce lundi dans un climat d’extrême tension, alors que les gangs armés affrontaient la Police nationale d’Haïti à Port-au-Prince, marque un tournant historique.
Alors que le sang coule encore dans les rues de la capitale, une force internationale de 5 500 membres vient d’être autorisée à intervenir pour 12 mois, à l’initiative des États-Unis et du Panama.
Un message clair : Haïti ne sera plus abandonnée à son sort.
Un vote révélateur : entre soutien massif et abstentions calculées
La résolution a été adoptée par 12 voix pour, aucune contre, et 3 abstentions, dont la Chine et la Russie.
Deux grandes puissances, deux approches, mais un même constat : la crise haïtienne est devenue une urgence mondiale.
La Chine, fidèle à sa doctrine de non-ingérence, redoute qu’une nouvelle mission étrangère ne ravive les traumatismes d’interventions passées, sans apporter de solution durable. Pour Pékin, aucune intervention ne peut réussir sans réformes politiques et institutionnelles profondes.
La Russie, de son côté, s’est gardée de tout veto, mais a maintenu sa position de méfiance envers les opérations sous leadership américain. Moscou considère que les précédentes missions internationales ont échoué à stabiliser durablement le pays, tout en reconnaissant la gravité de la situation actuelle.
Ces deux abstentions ne sont pas des refus. Elles traduisent une neutralité stratégique : la Chine et la Russie ne soutiennent pas ouvertement la manœuvre américaine, mais ne s’y opposent pas non plus.
Et ce détail change tout : Haïti bénéficie enfin d’un consensus tacite entre les grandes puissances.
Les États-Unis et le Panama : l’offensive diplomatique de la dernière chance
En proposant ce texte, Washington et Panama ont voulu démontrer que le désordre haïtien n’est pas une fatalité.
Les États-Unis y voient un double enjeu :
Stabiliser la région caraïbe, menacée par les vagues migratoires et les trafics, et préserver leur influence dans une zone stratégique, à proximité immédiate du continent américain.
Pour le Panama, il s’agit d’une question de sécurité régionale et d’une solidarité politique : l’effondrement d’Haïti menace directement la stabilité de la Caraïbe.
Leur message est sans ambiguïté : l’heure de l’inaction est révolue.
Haïti : le théâtre de la guerre et de la diplomatie
Pendant que les diplomates votaient à New York, Port-au-Prince vivait une journée d’enfer.
Des échanges de tirs nourris entre la police et les gangs de la coalition “Viv Ansanm”, dirigée par Jimmy Chérizier alias “Barbecue”, ont plongé plusieurs quartiers dans la panique.
Selon les premières informations, plusieurs civils ont été blessés, dont un jeune homme d’une trentaine d’années, atteint d’une balle au cou avant d’être transporté d’urgence à l’hôpital.
Ironie du sort, il y a quelques semaines, Barbecue appelait la population à retourner dans certaines zones, prétendant vouloir « pacifier » la capitale.
Hier encore, il promettait de libérer la route du Sud et du Sud-Est, vantant une stratégie d’ouverture.
Mais la réalité sur le terrain démontre tout le contraire : les gangs continuent de régner par la peur et la terreur.
Face à cette hypocrisie, la Résolution 2793 prend des allures d’ultimatum planétaire.
A: Les gangs ne sont plus face à une police isolée.
B: Ils ne sont plus protégés par le silence diplomatique.
C: Ils sont désormais placés sous la surveillance et la menace de la communauté internationale.
Certes, la Résolution 2793 ne résout pas tout. Mais elle change la donne.
Pour la première fois, les gangs haïtiens sont désignés comme la cible d’une coalition mondiale.
Leur impunité, longtemps garantie par la faiblesse de l’État, est désormais fragilisée.
Et ce basculement, même symbolique, est déjà un choc psychologique : la peur commence à changer de camp.
Les abstentions de la Chine et de la Russie ne peuvent masquer une réalité :
Aucune grande puissance n’a choisi de protéger les gangs, ni de bloquer la décision.
Ce silence stratégique est, à lui seul, un désaveu historique pour les chefs de guerre qui prétendaient défier le monde.
Haïti à la croisée des chemins
La Résolution 2793 ouvre un nouveau chapitre.
Elle porte en elle une promesse : celle d’un retour progressif à la sécurité et à la souveraineté.
Mais elle pose aussi une exigence : que les autorités haïtiennes reprennent leurs responsabilités.
Car aucune mission étrangère, quelle que soit sa puissance, ne pourra remplacer un État absent.
L’histoire jugera si cette opération marque le début de la fin de la terreur ou le énième mirage d’une communauté internationale hésitante.
Ce qui est sûr, c’est que le monde a parlé, et les gangs ont entendu.
Cette fois, ils ne sont plus les maîtres du jeu.
Crédit : Joël Agoudou, Journaliste
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